La danse de mort Chris Hedges

Il semble important de donner une place aux chroniqueurs dissidents nord-américains, tant les propos des médias, même les plus ” éclairés” ( The Nation, Common dreams etc.) ont le nez encore collé au résultat inattendu ( le restera-til donc jusqu’aux prochaines élections) et sont comme hypnotisés par la personnalité de Trump, négligeant le poids du contexte suystémique qui l’a amené au pourvoir. Nous publions cet article de Chris Hedges  afin qu’une de ces voix se fasse entendre, qui remet la situation actuelle dans sa dynamique historique et éclaire les mécanismes sous-jacents qui l’ont entrainée. Les références aux modèles de décadence civisationnelle seront certainement considérés comme un peu  sommaire, tout comme le sera son renvoi aux concepts freudiens de pulsion de mort. Mais ils ont l’énorme avantage de nous ramener à la vision d’un système dont tous les éléments agissent les uns sur et avec les autres, dans un contexte qui semble nous dépasser.EG

 

 

The Dance of Death

Posted on Mar 12, 2017

By Chris Hedges

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Mr. Fish / Truthdig

 

L’élite dominante ne cherche plus à construire. Elle cherche à détruire. Elle est génératrice de mort. Ils se languissent du pouvoir sans limite de cannibaliser le pays, de polluer et dégrader l’écosystème afin de nourrir leur insatiable besoin de richesse, de pouvoir et d’hédonisme. Les vertus de la guerre et de l’armée sont célébrées. L’intelligence, l’empathie et le bien commun sont bannis. La culture est dégradée au rang de kitch patriotique L’éducation n’a comme but que de prévoir l’efficacité technologique afin de servir le moteur empoisonné du système capitaliste. L’amnésie historique nous coupe du passé, du présent et du futur. Ceux qui sont désignés comme improductifs ou sans emploi sont répudiés et laissés à lutter dans la misère ou enfermés dans des cages. La répression étatique est indiscriminée et brutale. Et, présidant l’ignoble, le Grand guignol est un Monsieur Loyal dérangé, tweetant des absurdités de la Maison blanche.

Le cimetière des empires mondiaux – Sumériens, Egyptiens, Grecs, Romains, Mayas, Khmers, Ottomans et Austro-hongrois – suivirent la même trajectoire d’effondrement moral et physique. Ceux qui règnent  à la fin des empires sont des psychopathes, des imbéciles, des narcissiques ou des déviants, l’équivalent des empereurs romains dépravés Caligula, Néron, Tibère ou Commode. L’écosystème qui soutient l’empire est dégradé et épuisé. La croissance économique, concentrée dans les mains d’une élite corrompue, dépend d’un péonage bancal de dettes imposé à la population. Les guerriers professionnels, les spéculateurs financiers et les PDG d’entreprise sucent la moelle de la société.

La réponse myopique de l’élite à l’effondrement imminent du monde naturel et de la civilization est de faire travailler les populations asserviues plus dur pour moins cher, de dilapider le capital dans des projets grandioses comme les pyramides, les palaces, les murs frontaliers et le fracking et de déclarer des guerres. La décision du Président Trump o d’augmenter les dépenses militaires  de 54 milliards de dollars et de récupérer les fonds necessaries sur la chair des programmes sociaux est une comportement type des civilisations en phase terminale. Quand l’empire romain a chuté, il essayait de soutenir une armée d’un demi-million de soldats qui était devenues un drainage parasite des ressources publiques.

Les mécanismes bureaucratiques créés par toutes les civilisations les ruinent finalement. La différence maintenant, comme le note Joseph Tainter dans “The Collapse of Complex Societies,”( La chute des sociétés complexes) est que “ la chute, si et quand elle arrivera sera cette fois globale. Une nation ne peut plus s’effondrer seule. Le monde se désintégrera comme un tout. “

Les civilisations sur le déclin, en dépit des signes tangibles de désintégration qui les entourent restent fixes sur l’objectif de la restauration de leur “ grandeur”. C’est leur illusion qui les condamne. Elles ne peuvent pas voir que les forces qui ont donné lieu à la modernité, c’est-à-dire la technologie, la violence industrielle, les énergies fossiles sont celles-là même qui les mènent à l’extinction. Leurs leaders sont entraînés uniquement à server le système, adorant comme des esclaves les vieux dieux longtemps après qu’ils aient commence à exiger le sacrifice de millions de victimes.

“L’espoir nous guide d’inventer de nouvelles réparations pour de vieux problémes, qui à leur tour créent plus de dangereux problèmes.  Ronald Wright écrit dans  “A Short History of Progress.” (Une histoire courte du progrès). “ L’espoir élit les politiciens avec les promesses les plus grosses et les plus vides et comme tout courtier ou tout vendeur de loto le sait, la plupart d’entre nous choisiront le plus menu espoir contre la frugalité prudente et prévisible. L’espoir, comme l’avidité nourrit les moteurs du capitalisme” .

Les candidats de Trump,—Steve Bannon, Jeff Sessions, Rex Tillerson, Steve Mnuchin, Betsy DeVos, Wilbur Ross, Rick Perry, Alex Acosta et tous les autres- ne sont pas des avocats de l’innovation ou des réformes. Ils sont des chiens de Pavlov qui salivent devant des montagnes d’argent. Ils sont bien équipés pour voler aux pauvres et faire plonger les budgets fédéraux. Leur obsession de simples d’esprit avec l’enrichissement personnel les conduit à démanteler toute institution ou a abolir toute loi ou régulation qui viendrait se mettre dans le chemin de leur convoitise. Le capitalisme, note Karl Marx, est «  une machine qui démolit les limites ». Il n’existe pas de sens inné des proportions ou des échelles. Une fois que tous les empêchements externes sont levés, le capitalisme global transforme sans scrupule l’humain et le monde vivant afin d’en extraire du profit jusqu’à son épuisement ou son effondrement. Et quand le dernier moment de la civilisation arrive, les édifices dégénérés du pouvoir semblent s’effriter en une seule nuit.

Sigmund Freud a écrit que les sociétés, tout comme les individus, sont mues par deux pulsions primaires. Une est la pulsion de vie, Eros, la quête d’amour, de nourriture, de protection et de préservation. La seconde est la pulsion de mort, nommée Thanatos par les post-freudiens guidée par la peur, la haine et la violence. Elle cherche la dissolution de tout ce qui vit, y compris celle de notre existence même. Une de ces deux forces, écrit Freud, est toujours ascendante. Les sociétés en déclin embrassent la pulsion de mort avec enthousiasme, comme Freud l’observe dans  “Civilization and Its Discontents,”( Malaise dans la civilisation) écrit à l’aube de la montée du Fascisme européen et de la Seconde guerre mondiale. “C’est dans le sadism, où la pulsion de mort modifie l’objet érotique selon ses propres buts et cependant satisfait pleinement son besoin pulsionnel que nous réussissons à obtenir la vision la plus claire de sa nature et de son lien avec Eros “ écrit Freud. “Mais meme lorsqu’elle emerge sans but sexuel, dans la furie aveugle de la destructivité, nous ne pouvons pas manqué de reconnaître que la satisfaction de l’instinct est accompagnée par un degré extraordinaire de satisfaction narcissique, accordant une satisfaction des vieux souhaits d’omnipotence à l’Ego »

Le désir de mort, comme Freud l’a compris, n’est pas, tout d’abord, morbide. Il est séduisant et excitant. Je l’ai constaté lors des guerres que j’ai couvertes. Un pouvoir quasi divin et une furie guidée par l’adrénaline, meme de l’euphorie, baigne les unites armées ou les groups religieux ou ethnoiques a qui est donnée la possibilité de détruire n’importe quoi et n’importe qui autour d’eux. Ernst Junger a capturé ce «  monstrueux désir d’annihilation » dans son travail sur la Première guerre mondiale «  Orage d’acier »

Une population aliénée et assaillie par le désespoir trouve de la puissance et du plaisir dans une orgie d’annihilation qui prend vite la forme d’une auto-annihilation. Cela n’a aucun intérêt de nourrir un monde qui  l’a trahie et a contrecarré ses rêves. Elle cherche à éradiquer ce monde et à le remplacer par son paysage mythique. Elle se tourne contre les institutions, aussi bien que contre les groupes ethniques ou religieux qui deviennent les boucs émissaires de sa misère. Elle pille les réserves qui diminuent avec abandon. Elle est séduite par les promesses fantastiques des démagogues et par les solutions magiques caractéristiques du droit chrétien ou de ce que les anthropologistes appellent «  culte de la crise. »

Norman Cohn, dans « A la poursuite du Millénium : Messianisme révolutionnaire au Moyen-âge et pendant la Réforme et ses effets sur les mouvements totalitaires modernes (The Pursuit of the Millennium : Revolutionary Messianism in Medieval and Reformation Europe and Its Bearing on Modern Totalitarian Movements, » dessine un lien entre cette période turbulente et la nôtre. « Les mouvements millénaristes sont une réponse psychologique particulière et collective à un profond désespoir social. Ils sont récurrents à travers l’histoire humaine. Nous n’en sommes pas immunisés

« Ces mouvements ont varié dans leur ton de l’agressivité la plus violente au pacifisme le plus nuancée et leur but de la spiritualité la plus éthérée au matérialisme le plus terre à terre, il est impossible de dénombrer les voies possible de concevoir le millénaire et la route qui y mène. » écrit Cohen. «  Mais les similarités peuvent se présenter tout comme les différences et plus on observe attentivement les poussées de militantisme social du chiliasme ( autre terme pour millénarisme) pendant le Bas-moyen âge, plus apparaissent des similarités. Les anciens symboles et les anciens slogans bien sûr disparaissent et sont remplacés par des nouveaux, mais la structure des fantasmes de base semble ne pas avoir changé du tout. »

« Ces mouvements, écrit Cohen, offrent un mythe social capable de prendre entièrement possession de ceux qui croyaient en lui. Il explique leur souffrance, il promet des récompenses, il éloigne leur anxiété et leur  donne l’illusion de sécurité- même lorsqu’il les guide, tenus ensemble par un enthousiasme commun, dans une quête qui est toujours vaine et souvent suicidaire. »

« Aussi arriva-t-il que des quantités de personnes se comportèrent avec une énergie furieuse et partagèrent un même fantasme qui, bien que trompeur leur apportait  un soulagement émotionnel intense si intense qu’ils pouvaient uniquement vivre à travers lui et étaient parfaitement d’accord pour mourir pour lui. Ce fût un phénomène qui se manifesta plusieurs fois entre le 11ième siècle et le 16ième siècle, tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, et qui, en dépit des différences évidentes de contexte culturel et de son ampleur, n’est pas étranger à la croissance des mouvements totalitaires, avec leurs leaders messianiques, leur mirages millénaristes et leur boucs émissaires démonisés dans le siècle actuel. »

La rupture d’une société d’avec la réalité, comme la nôtre a été séparée de la reconnaissance collective du changement climatique et les conséquences fatales de l’impérialisme et de la désindustrialisation la laisse sans les mécanismes intellectuels et institutionnels lui permettant de se confronter à sa mort imminente. Elle se maintient dans un état d’auto-hypnose et de délire. Elle cherche des euphories momentanées et du sens dans des divertissements bon marché et des actes de violence et de destruction, y compris à l’égard des individus qui sont démonisés ou blâmés pour la chute de la société. Elle précipite sa propre immolation tout en brandissant la supposée inévitabilité d’une résurgence nationale. Idiots et charlatans,* les servants de la mort, nous conduisent dans les abysses.

* On se reportera pour cette description des prédateurs de l’aire politique en place à l’ouvrage de Roland Gori  ” La fabrique des imposteurs “

 

Traduction Elisabeth Guerrier

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