Freud : The Making of an Illusion
by Frederick Crews
Sigmund Freud; drawing by Siegfried Woldhek
Frederick Crews montre une loyauté dans ses préoccupations assez rare dans le milieu universitaire. Ses attaques contre Sigmund Freud on commencé dès le milieu des années 70 avec la revendication de sa reconversion publique hors des ctitiques littéraires freudiennes qu’il pratiquait à l‘époque. Depuis lors ses assauts ont trouvé un soutien de la part de nombreux limiers et intellectuels. Haut dans la liste de ces limiers est l’infatigable Peter Swales, qui fut assistant de la revue Rolling Stones et un adepte de l’ l’adulé G.I. Gurdjieff, qui s’est intéressé à Freud à cause de son utilisation de la cocaïne et a flairé toutes sortes de faits sur les origines de ses cas et sur sa soi-disant liaison avec sa belle-sœur. Les spécialistes comprennent des chercheurs dont les conclusions sur Freud de s’accordent pas toujours avec celles de Crews, quels que soient leur position à l’égard de sa pratique ou de ses écrits. Comme Karl Popper ou Adolf Grünbaum, ils peuvent mettre en cause le statut de scientifique de Freud – d’abord si il en a un, ou si ses assertions sont suffisamment prouvées par les preuves empiriques. Les 746 pages de la biographie de Crews, Freud: The Making of an Illusion, accablantes et hypnotiques par moment, portent sur la jeunsess de Freud et n’évoquent « L’Interprétation des rêves » qu’à la page 543, n’autorisant que quelques coups d’œil rapides à la seconde partie de sa vie. Elle marque le zénith de la croisade de Crews qui veut « mettre un terme au mythe de la psychanalyse et de son créateur » en ôtant à Freud à la fois ses références empiristes et son image d’ « explorateur solitaire à la persévérance courageuse, à la capacité déductive brillante, aux intuitions fulgurantes et aux pouvoirs thérapeutiques », une série d’attributions que Crews a trouvé dans la propre description de lui-même faite par Freud ainsi que dans la biographie de référence de Ernest Jones ( 1953. 1957)
L’idéalisation de l’homme Freud que Crews est si impatient de désigner comme une illusion aveugle est à peine prévalente. La plupart des experts, commentateurs, et même analystes n’ en ont pas besoin pour faire usage des intuitions de Freud sur l’opacité et l’impréductabilité de l’âme humaine, ou sur la façon dont l’amour et la haine coexistent, ou sur les échos de notre enfance en chacun de nous, nous enfermant parfois ou sur nos identifications aux figures premières de notre vie qui modèlent les humains complexes que nous devenont. Ou peut-être plus important, sur ce que nous partageons avec ceux parmi nous négligeamment labélisés par la quantité de diagnostics répertoriés dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM).
Jones lui-même, tout en rédigeant la biographie de Freud, avait changé d’allégeance théorique pour choisir Mélanie Klein, l’analyste hongroise qui influença tant la British Pychoanalytic Society. Bien sûr l’illusion freudienne ne fut prévalente aux USA que de 1950 aux environs de 1968. A cette époque Freud fut repris par les intellectuels libéraux puis radicaux tout d’abord, comme Herbert Marcuse, et la thérapie freudienne, dans sa traduction américaine, faisait partie de la formation en psychiatrie. Freud, qui mourut en 1939, devint une figure souvent comique du « monsieur-je-sais-tout » dans la culture populaire. Ironiquement, en dépit de sa « gloire » en 1956, l’année de son centenaire, il n’y avait que 942 psychanalystes officiellement déclarés dans tout le pays.
C’est l’attention que Freud a reçu qui irrite le plus Crews. Dans ses lignes d’introduction, il affirme avec exaspération : « Parmi les figures historiques, Sigmund Freud se situe au niveau de Shakespeare et de Jésus de Nazareth pour la quantité d’attention qui lui a été accordée par les chercheurs et les commentateurs. » Certainement pas. Et sûrement pas même en Amérique où Jésus – avec son clergé et ses prêtres, dont beaucoup sont des chercheurs et des commentateurs, sans faire mention du nombre incroyable d’églises, d’adeptes, de websites – a toujours beaucoup plus d’attention que l’auteur de l’Interprétation des rêves ou de Malaise dans la civilisation. Mais Crews est en marche contre l’homme qui veut « volontairement détruire le temple de la loi pauline ». Il est possible que le Pape Pie XII n’ait pas noté ce point lorsqu’il a approuvé officiellement « la cure analytique comme méthode de soin » en 1953, indiquant que « la science affirme que la science a récemment éclairé les zones cachées de la structure psychique humaine ».1 Le Pape Francis lui-même a récemment révélé qu’il avait suivi une psychanalyse à l’âge de quarante-deux ans… Il a déclaré que son analyste était une femme courageuse.
Le sous-titre de Crews fait écho à « L’avenir d’une illusion » (1927) de Freud, dans lequel Freud défend que nos croyances religieuses sont « la satisfaction du plus ancien, du plus fort et du plus urgent souhait de l’espèce humaine ». Crews n’explore pas – comme l’a fait Erbest Gellner dans « Le mouvement psychanalytique » (1985) – comment le développement de la psychanalyse peut être comparé à celui d’un mouvement religieux, ou comme ses revendications, en prétendant être scientifiques sont en fait celles d’un système de croyance déguisé. Ses attaques sont toujours personnelles. Crews est convaincu que si Freud est dépeint comme un escroc et un scélérat falsifieur de cas et plus préoccupé par l’argent que par ses patients, alors tout ce qu’il a écrit sur les souvenirs refoulés, sur la sexualité et sur le désir, les fantasmes et le roman familial oedipien, les rêves, les lapsus et les manifestations quotidiennes de l’esprit humain ne sera considéré que comme les fictions sordides d’un Caligari dément, hypnotisé, dont Crews utilise le nom du cabinet comme titre d’un de ses chapitres.
Dans sa vision, Freud était un homme prêt à « atteindre la gloire à n’importe quel coût » et qui a sacrifié « son intégrité à la fois de scientifique et de médecin » dans ce but. Ayant créé une science sans base empirique, uniquement en la fabriquant, Freud, avec son inhabilité à « renoncer à son luxe », sa « mentalité de commerçant » et son but de « protéger et promouvoir sa marque » a été capable de perpétrer une arnaque gigantesque pendant le 20ième siècle.
La stratégie rhétorique à l’œuvre ici est celle d’un talentueux procureur. Elle enferme le lecteur. Ou bien vous achetez ou bien vous êtes propulsé dans une identification avec l’accusé et tout en luttant pour respirer, souhaitez qu’un avocat de la défense se montre.
Cela nous amène aussi à nous demander pourquoi, le 23 juin 1938, à peine deux semaines après que Freud ait fui les persécutions nazies et atterri en Angleterre avec sa proche famille, il reçut une visite des représentants de la Société royale, la plus ancienne association scientifique du monde. Fondée en 1660, inspirée par Francis Bacon, et comprenant parmi ses éminents membres Isaac Newton et Charles Darwin, elle a choisi Freud pour être un de ses membres.
Pourquoi cette congrégation scientifique a-t-elle décidé d’accueillir Freud dans ses rangs ? La citation du certificat dit : « pour son travail pionnier dans la psychanalyse ». Les membres toujours assez tracassiers, avec leur vision à long terme de l’histoire, savaient que la science n’est pas une chaumière étriquée dont les résidents, comme les adhérents d’une religion stricte, suivraient un ensemble rigide de règles éternelles, mais plutôt une vaste demeure changeante où l’observation non seulement des animaux mais aussi du monde humain peut compter comme une science, où les dubitatifs peuvent se tenir côte à cote et s’engager dans de chauds débats.
Dans leur sagesse, ils reconnaissent également que les scientifiques ne sont pas tous consistants ou dans leurs idées ou dans leurs vies. De même que la façon dont les unes modèlent les autres n’est jamais très claire. Newton, qui a formulé la loi du mouvement et de la gravitation universelle, était également un mystique avec des croyances étranges même pour son temps, et s’est comporté frauduleusement dans un conflit avec Leipniz. Crews, par contraste, semble idéaliser la science et même la déshistoriciser, oubliant qu’à l’époque où Freud a commencé à exercer, des pratiques médicales manifestement dangereuses étaient revendiquées par de nombreux médecins aux USA, les expérimentations cliniques de médicaments n’ont pas été instituées avant 1947.
Crews n’est intéressé que par les spéculations et les observations de Freud liées à l’hystérie et à ses premières études de cas, ou bien à sa rivalité et à ses réclamations de préséance, et sa « répulsion paresseuse à collecter suffisamment de preuves ». Il dépeint Freud comme « animé » par « l’ « envie » à l’égard du déjà renommé jeune Pierre Janet, et affirme que Freud a simplement emprunté à Janet ses conceptions de l’inconscient et de la formation du symptôme. Mais l’édition standard des écrits de Freud a soixante références à Janet et à ses idées, retraçant un débat bien alimenté entre eux ayant eu lieu entre 1888 et 1925. Freud peut souhaiter gagner le débat mais rien n’indique qu’il pensait que ses propres idées lui soient venues de nulle part – comme ses propres notes et ses références innombrables à la littérature ancienne et moderne le suggèrent.
Crews propose de très nombreux faits, bien que hautement sélectifs, à son cas. Son jeune Freud n’est pas seulement un neurologiste peu soigneux mais un cocaïnomane plein d’illusions, trahissant ses amis, homoérotique dans ses désirs (bien qu’il puisse avoir commis un adultère avec sa belle-sœur) ainsi que médecin avec très peu de patients sur lesquels baser ses théories changeantes. Ceux qu’il suivait, il les a laissés tomber, ou blessés ou faussement diagnostiqués. Son seul patient était lui-même. Lorsqu’il ne volait pas les idées des autres, il ne fournissait aucune preuve sur aucune des siennes. Il était également névrosé, dépressif, et obsédé par le sexe. Le reste n’est qu’une gigantesque arnaque. Tout l’édifice de la psychanalyse, les découvertes de Freud tout au long de ses écrits, sont une imposture – comme doit l’être, par déduction, toutes les institutions de psychanalyse de par le monde, du Brésil à la Chine et leurs ramifications
Beaucoup parmi les faits de base de l’argumentaire de Crews, comme il le reconnait, sont déjà apparu dans la biographie de Freud, bavarde mais beaucoup plus complète, d’Ernest Jones. Jones, malgré le mythe qu’il est supposé avoir généré, n’est pas un hagiographe. Il écrit sur l’usage que Freud a fait de cette nouvelle drogue qu’était la cocaïne, ses vues victoriennes des femmes et de la satisfaction psychique d’avoir des enfants (même si Freud a accueilli des femmes dans la nouvelle profession), ses changements de point de vue au gré de l’évolution de sa pratique, le contenu autobiographique de « L’interprétation des rêves » et plus.
Tout ceci en 1950, quand les biographies de personnages publiques n’évoquaient que arement les aspects privés. Quand la biographie de Jones parut aux USA en 1956, le Time a mentionné son appartenance à l’école du « avec les défauts et les qualités ». Crews oublie les qualités et ne pointe que les défauts, les aggrave, et en trouve de nouveau. Dans le mouvement, ce qui émerge est un Freud horrible qui a quelque chose d’un paysan faustien de bande dessinée. « Vers 1895, écrit Crews, Freud s’était déjà attribué une licence afin d’inventer, de supprimer, et de réarrranger les faits dans l’intérêt d’un autoportrait amélioré et de la vindicte théorique …Le chapitre sur Katherina, (dans les Etudes sur l’hystérie) nous permettent de voir que leur auteur… ne s’arrêtera devant rien afin de mettre en avant les preuves de ses prouesses imaginaires. »
Bien que Crews ait beaucoup écrit sur les caprices de la mémoire, pour les besoins du moment, ils ne semblent être fiables que tant qu’ils touchent les mauvais souvenirs de Freud. Les propres souvenirs de Freud, selon Crews, ne sont que mensonges. Dans un des points culminants d’un chapitre dédié à la mise en avant de l’échec de Freud avec les premières hystériques, sa nature pernicieuse et répugnante, et la façon « dont tout le monde le considère avec méfiance ». parmi les Juifs de l’élite viennoise, Crews cite la mère d’Arthur Koestler parlant en 1953 à propos de son expérience avec Freud soixante-trois ans plus tôt. Ayant été adressée à un jeune neurologiste en 1890 à l‘âge de dix-neuf ans et n’y étant allée qu’à contre-cœur, elle se souvient d’un « type dégoûtant », son intérêt pour le sexe était « scandaleux et étrange » et personne dans ses connaissances ne le prenait au sérieux. On croirait une adolescente, bien que ce soit légèrement douteux, si ce qu’elle dit sur sa vision principale est vrai, qu’elle se soit jamais rendue chez Freud.
De telles preuves pourraient être utilisées afin de démontrer la conscience de Freud d’être un marginal solitaire mais Crews ne veut pas de cela non plus. Les propres soixante-dix pages de son autobiographie « Etude autobiographique » (1925) sont utilisées afin de questionner la véracité de sa déception lorqu’il était pour la première fois à l’universtité de Vienne, en1873, à l’âge de 17 ans. « Par-dessus tout, écrit le Freud de 68 ans, je trouvais que l’on s’attendait à ce que je me perçoive comme inférieur et étranger parce que j’étais juif. » Crews est sceptique : si Freud avait rencontré de l’ostracisme en entrant à l’université, il aurait certainement voulu achever l’épreuve aussi vite que possible, mais il s’est attardé sur un pot pourri de cours. De meêm qu’il n’apparait pas qu’il ait été privé d’une vie sociale.
Puisque 21 % des étudiants étaient « déjà » juifs, bien qu’ils ne composent que 10.1 % de la population viennoise, Crews ne fait aucune confiance au souvenir de Freud et ne les considère que comme des moyens de nourrir son propre mythe d’un « paria qui a noblement choisi d’affronter son destin ».
Bien sûr, il ya quelque chose du pionnier solitaire dans les Etudes autobiographiques de Freud. Elles font partie d’une série de brefs récits de vie de Docteurs éminents commanditée par les éditeurs de Leibzig dont beaucoup sont de la même veine. Ce sont les tropes de la profession. Ils se souviennent des jours héroïques de la médecine : ils sont les récits ibsenesques des individus qui ont du gravir des chemins escarpés, ont lutté pour établir de nouveaux domaines d’étude – epidémiologie, santé publique et nouvelles antitoxines contre la diphtérie et, oui, psychanalyse. La légende romantique qu’attaque Crews – et elle n’est sans doute pas plus romantique que la romance de l’accumulation patiente de preuves pendant des années – n’est pas spécifique à Freud, même si il est celui que nous connaissons le mieux.
Mais c’est le questionnement des sentiments de Freud à propos de l’anti-sémitisme par Crews qui est lui-même questionnable. Contrairement à ce qu’il affirme, l’anti-sémitisme était un fait prévalent à l’universtié au moment ou Freud y est entré. Mais pas une personne affamée de savoir comme Freud l’était et serrée sur le plan financier ne se ferait guider par les préjudices et quitter ses études. Crews est tristement sourd à l’ambivalence, le désir simultané d’appartenance et celui de faire un triomphe de votre sentiment d’isolement, en particulier quand il s’agit de Freud.
La correspondance volumineuse entre Freud et sa fiancée Martha Bernays – connue sous le nom de Die Brautbriefe – car elle couvre toute la période de leur fiançailles-a été récemment publiée sur la site de la librairie du Congrès et publiée d’une façon méticuleuse par une maison d’édition allemande. Sur les cinq volumes en projet, trois sont en Allemand2 et un en Anglais. Bien qu’une sélection de lettres ait été publiée précédemment et que Jones ait eu accès à tutes, les Brautbriefe sont une nouvelle source apportée à la biographie de Crews.
Les lettres commencent en juin 1882, quand Freud est un jeune chercheur démuni et finissent en septembre 1886, lorsqu’il revient chez lui après ses quatre mois de recherches à l’hôpital de la Salpêtrière avec Jean-Martin Charcot, le Napoléon des neurologues. Elles couvrent la période qui voit Freud s’installer dans un cabinet privé, tout en travaillant à l’hôpital, de façon à ce qu’il puisse gagner assez pour faire vivre sa femme et ses enfants, aisni que de nombreux autres memebres de sa famille qui dépendent de lui. Les Brautbriefe, éloquentes de part et d’autre sont largement utilisées par Crews pour jeter du vitriol à Freud. Ses références constantes à l’argent et son besoin désespéré d’en trouver- ou bien à partir de découvertes qui lui assureraient un poste sûr à l’avenir , vers la fin de la période où il a décidé d’abandonner la recherche jusqu’à ses patients payants- ne sont jamais considérés comme des choses que Martha pourrait attendre pour pouvoir justifier le fait qu’il repousse leur mariage. Dans la vision de Crews, ils sont le signal de la valorisation de la richesse par Freud au dépend de son intégrité scientifique ou de ses patients. Crews est décontenancé par la quantité quotidienne de références à « des maux de tête migraineux, de dépression invalidante, et d’éclats de fureur » parfois contre Martha mais principalement contre les gens qui l’ont offensé. C’est également Martha qui récupère tous les hauts et les bas qui accompagnent l’usage de la cocaïne de Freud pendant toutes ces années ainsi que ses fantasmes lubriques et plus tristement, ses échecs avoués avec son ami Ernst Fleisch von Marxow sur son addiction à la morphine. Pour Crews, il est difficile de comprendre pourquoi cette Martha intelligente, cultivée et d’un milieu plus favorisé – a attendu tant d’années et s’est décidée à épouser ce tyran malhonnête et raté que dépeint Crews et soit restée avec lui pendant cinquante ans et six enfants.
Sa décision est d’autant plus étonnante étant donné la croyance en la preuve fortuite qui a soi-disant placé sa sœur Minna, qui avait déménagé chez eux peu après qu’elle ait eu son sixième enfant, directement dans le lit de son mari, pas seulement lors de ses voyages, qui se serait terminé par un avortement, mais aussi dans une maison emplie d’enfants qui n’auraient jamais rien remarqué. Personne n’a jamais vu les deux ensemble dans un lit non plus, de même que n’existe aucun compte-rendu d’avortement dans les recherches pourtant assidues menées sans la vie privée de Freud. Les rumeurs sur la relation viennent d’une remarque désinvolte qu’aurait faite Jung- lui-même adultère avéré- en 1957, selon laquelle Minna lui aurait confessé cette aventure, alors qu’il quittait l’appartement de Freud en 1907.
La concentration totale de Crews sur les détails de ce qu’il nomme avec insouciance : «La célébration de l’amour entre Minna et Sigmund sur les rives du lac Garda » et l’avortement qui est supposé en découler est faite pour miner les acquis moraux attribué au « légendaire » Freud par ses biographes Ernest Jones et Peter Gay. Mais est également importante pour Crews, l’opportunité que l’épisode lui offre de faire une analyse textuelle – de nous donner « une leçon sur la façon d’appréhender les textes de Freud avec une pleine conscience de leur duplicité. »
Son but est de révéler combien les écrits de Freud sur les rêves, sur les souvenirs-écrans (ou bien souvenirs qui cachent d’autres souvenirs enfouis), l’amour, le sexe, le mariage, sont plus autobiographiques que nous ne le savions déjà. Son Freud est de toute évidence mégalomanique, jamais préoccupé par les patiens ou par quoi que ce soit d’humain ou de social. Donc les essais de Freud sur le sexe, l’amour, le mariage, (1908,1910,1911) sont construits sur son propre cas et non sur des comportements plus généraux. Cependant ses contemporains viennois, comme Arthur Schnitzler ou Stephan Zweig – tout comme les premières féministes qui condamnent le manque d’éducation, y compris sexuelle des femmes de l’époque, dépeignent bien une vie qui correspond aux descriptions de Freud.
Crews a une bonne vision de la culture générale de la médecine psychiatrique et neurologique au tournt du siècle dernier, mais dans ses tentatives zélées de mettre Freud en accusation, il échoue à lui donne son propre poids historique ; Il n’existait pas de traitement pour les maladies psychiatriques, y compris l’hystérie, avec sa quantité de symptômes souvent sévères. Les traitements étaient violents, punitifs et parfois mortels.
Parce que Freud a appris de Charcot, Crews tente de le déprécier. Chacot était bien sûr théâtral dans ses cours publics et utilisait l’hypnotisme. Mais l’hypnotisme était une des méthodes expérimentales scientifiques de l’époque, et dans le cas de Charcot c’était un outil diagnostique. Crews choisit de ne pas mentionner que ce que Freud apprit de Charot était « la chose génitale » – la sexualité présente partout dans l’hopital ou dans les histoires que les hystériques se racontaient à elles-mêmes et que Freud, contrairement à Charcot, écoutait.
En contraste, Crews admire à juste titre le psychiatre Emil Kraeplin, un contemporain de Freud, pour ses classements et ses descriptions ordonnées des maladies, dont le genre sert de base pour le DSM. Kraeplin put avoir produit des classements valorisés par Crews, il est aussi quelqu’un qui croit dans les criminels denaissance et un ferme eugéniste, faits dont Crews ne se soucie pas. Charcot et Kraeplin avaient une importante population asilaire qui leur permettait de’établir leurs classifications mais aucun d’entre eux n’était intéressé en premier lieu par la guérison des malades mentaux ;
Il s’avère que c’est ce que Freud cherchait. A l’époque, les hôpitaux psychiatriques et les cliniques privées utilisaient toutes les drogues qu’ils pouvaient trouver, du chlorure au bromure de potassium afin de calmer leurs patients. Les comportements anxieux des malades, souvent verbalement, sexuellement et physiquement agités- étaient bien connus. Il est à peine surprenant que Josef Breuer ait utilisé des sédatifs sur Bertha Pappenheim, connue sous le nom de Anna O., la première patiente des « études sur l’hystérie », ou que Freud ait tout d’abord utilisé cela et toutes les techniques alors disponibles. Gérer ces patients était le mieux que l’on puisse faire et l’échec était la norme.
Cependant, Freud a laissé les drogues et l’hypnotisme en faveur de sa nouvelle cure, de parole et d’écoute, beaucoup plus douce. La plupart des hopitaux et asiles, de même que les cliniques ne l’ont pas fait. Au cours du vingtième siècle plus « scientifique » sont apparues les cures miracles, souvent mortelles à l’usage, comme l’insuline, l’arrachage de dents, la lobotomie et les électrochocs. Les électrochocs modernes utilisent des décharges électriques beaucoup plus intenses que celles du dix-neuvième siècle utilisées par le jeune Freud et dont Crews se moque.
La décision de Crews de transformer le travail de Freud avec ses premières patientes hystériques en un exposé de son incompétence de novice génère une lecture sans saveur. De nombreuses maladies mentales ou psychoaffectives sont incurables et chroniques. Si Freud s’est d’abord tourné vers une étilogie sexuelle puis finalement familiale pour les conflits intrapsychiques qui selon lui menaient à la maladie, il nous a averti assez fréquemment, comme dans le cas de Dora, sur ses propres erreurs de traitement. Quelle que soient les fausses interprétations de l’approche autoritaire et patriarcale de cette adolescente perturbée, Dora ne se suicida pas comme le craignaient ses parents, ni d’ailleurs aucun autre patient de Freud. Ce peut ne pas être un résultat miraculeux mais ce n’est pas non plus un échec total, comme toute personne travaillant dans l’environnement contemporain de la santé mentale le reconnaîtra certainement. Freud, contrairement à beaucoup à son époque, reconnu que la voix des femmes valait d’être entendue – et que les femmes étaient des êtres sexués avec des désirs. Crews fait le choix de ne donner aucun compte rendu positif des analyses avec Freud mais il y en eu de fort notables, notamment celles de la poéte américaine HD (Doolittel) et de l’écrivaine et psychanalyste d’origine russe Lou Andreas-Salomé.
De même qu’il n’est pas exact que Freud n’ait eu presque aucun patient sur lesquels fonder ses hypothèses en début de carrière ou qu’il faisait régulièrement de mauvais diagnostics. Le livret professionnel de ses patients de 1896 à 1899 est conservé à la Librairie du Congrès. Freud a reçu presque soixante patients par an en plus de cinq-cents visites. C’est à travers ces séances et son auto-analyse qu’il a évolué d’une brève pratique de l’hypnose à la cure psychanalytique basée sur la libre association, l’analyse des rêves et du transfert. Après 1900, sans compter les années de guerre, il travaillait avec des patients jusqu’à onze heures par jour.
Mettre des mots sur des conflits psychologiques semble aider. Les récentes révélations selon lesquelles les preuves négatives dans les essais cliniques des médicaments psychotropes si appréciés ont été évacuées par des médecins ayant bénéficié des faveurs des laboratoires pharmaceutiques, la façon dont les résultats cliniques mis en avant n’étaient que les résultats favorables, le silence sur les effets secondaires, dont le suicide – tout ceci a fait paraître bien bénignes les fautes de la psychanalyse.3 La cure psychanalytique peut ne pas produire de résultats immédiats mais elle ne provoque pas de dégâts comparables. Les assureurs peuvent reconsidérer les coûts pour un patient sur la durée d’une vie. Mais, à considérer également, main dans la main avec le développement de ces drogues psychotropes « scientifiques » hautement racoleuses, le nombre de personnes souffrant de désordre mentaux a crû énormément.
Contrairement à Adam Phillips dans son brillant « Becoming Freud » ( 2014) ou Joel Whitebook sans sa rcente biographie intellectuelle ( 2017), Crews n’est jamais intéressé dans l’abord de ce que les écrits de Freud peuvent encore éclairer sur les mystères de la vie quotidienne actuelle. Je pense que lorsqu’il s’agit de Freud et de la psychanalyse, j’emprunterai la citation de Stanley Cavell :
« La plupart des philosophes de ma tradition, sinon tous, je crois, se réfèrent à la psychanalyse avec méfiance, se demandant habituellement si la psychanalyse mérite le nom de science… Je suis moi-même convaincu que le corpus des écrits de Freud et une quantit considérable d’écrits qui en dépendent ont atteint un horizon de savoirs insurpassé sur l’esprit humain. Je ne serai donc pas satisfait avec une réponse niant à la psychanalyse le statut de science, si cette réponse nie cet horizon de savoir.
- 1
Dagmar Herzog, Cold War Freud (Cambridge University Press, 2017), p. 52. ↩
- 2
Sigmund Freud and Martha Bernays, Die Brautbriefe, edited by Gerhard Fichtner, Ilse Grubrich-Simitis, and Albrecht Hirschmüller in collaboration with Wolfgang Kloft (Frankfurt am Main: Fischer, 2011–2015). ↩
- 3
See Marcia Angell’s articles in these pages, among them “Drug Companies & Doctors: A Story of Corruption,” January 15, 2009; “The Epidemic of Mental Illness: Why?,” June 23, 2011; and “The Illusions of Psychiatry,” July 14, 2011. See also David Healy, The Antidepressant Era (Harvard University Press, 1999) and Let Them Eat Prozac: The Unhealthy Relationship Between the Pharmaceutical Industry and Depression (NYU Press, 2004). ↩
Traduction Elisabeth Guerrier